mercredi 28 mai 2014

L'Oise en péril et plan social déguisé

Le Courrier picard dans l'Oise risque, à très court terme, de n'être plus qu'un souvenir. La direction du journal a annoncé ce lundi 26 mai 2014 en comité d'entreprise un plan de restructuration qui, selon la CFDT,  va le conduire à la mort.
En 2009, les derniers dirigeants de la scop dans leur politique de fuite en avant décidaient de supprimer l'édition unique (qui en son temps avait relancé les ventes) pour créer deux éditions : une sur Beauvais, l'autre sur Compiègne. Une initiative combattue par l'ensemble de la rédaction, du rédacteur en chef (qui sous la pression hiérarchique changera d'avis) aux syndicats,  CFDT en tête. Non seulement cette double édition,  encouragée par l'actionnaire minoritaire de l'époque (la Voix du Nord), était une erreur éditioriale mais elle plombait un peu plus les comptes d'une entreprise déjà mal en point.
Prenant le pouvoir fin 2009, la Voix du Nord ne changeait rien. Cinq ans après, les mêmes font volte face et décident de revenir à l'édition unique. Ce dont nous devrions légitiment nous réjouir.
Sauf que...
L'édition unique que Rossel-Voix du Nord entendent nous imposer à la rentrée de septembre n'a rien à voir avec celle que nous avons connue avant 2009.

Six emplois supprimés

Quand les lecteurs de l'époque bénéficiaient de trois pages départementales et d'une quinzaine de pages de locale chaque jour, ceux de demain n'auront plus droit qu'à deux pages départementales, une page d'infos service et 7 pages de locale. Soit un total de 10 pages qui dans le détail se traduiront par 2 pages Beauvais, 2  Compiègne et les trois autres pour Noyon, Clermont et tout le secteur rural.
Si les lecteurs continuent à nous acheter avec une si maigre pitance, il faudra leur décerner des lauriers.

Comme les deux éditions de l'Oise sont tombées à 8 500 exemplaires (contre 10 000 avant), eh bien on va réduire aussi les effectifs. Car la vraie raison de ce projet est là : supprimer des postes de journalistes
Les seize localiers qui oeuvrent actuellement sur le département sont bien trop nombreux. A 10, ils y arriveront tout aussi bien.
Pour faire passer la pilule, la direction ose affirmer que "cette réduction d'effectifs sera sans incidence sur les effectifs CDI de la rédaction". Elle devrait ajouter : "à ce jour". Parce que les effectifs CDI qui devraient être de 87 ne sont plus, depuis 18 mois, que de 81. Les différents départs enregistrés en ce laps de temps n'ont jamais été compensés par des CDI mais par des CDD dont on va se débarrasser fin juin.
Les trois CDD actuellement dans l'Oise peuvent d'ores et déjà préparer leurs valises.
A la lueur de cette restructuration, on comprend mieux le licenciement pour une soit-disant "faute grave" de notre confrère, chef d'agence de Beauvais. C'était l'occasion idéale de supprimer l'un des trois postes de CDI qu'il faut encore gagner.
Grâce à la mobilisation de la rédaction, il a été réintégré. Il officie depuis le début de la semaine à Abbeville, en qualité de secrétaire de rédaction (éditeur, dans le langage Rossel-VdN). Reste à recaser deux autres confrères à qui, des postes occupés dans la Somme  par d'autres CDD, devraient être proposés.
On emploie le conditionnel car le rédacteur en chef affirme ne pas avoir achevé son "travail de concertation". Ceux qui croient au père Noël ou au petit Jésus n'ont pas de raison de  douter de sa parole.

 Mort lente

A la CFDT, nous sommes favorables au retour de l'édition unique sur les bases de celle d'avant 2009, avec un effectif  et une pagination identiques.
Les économies de papier et la réduction constante de la masse salariale sont les motivations premières d'une direction, incapable depuis son arrivée de redresser les ventes qui, par ces mesures dans l'Oise, voue cette édition à sa disparition. Qui voudra encore débourser 1,10 euro  pour un journal qui aura perdu les trois quarts de son contenu local ?

Lors de la prise de pouvoir de la VdN au CP en 2009, la CFDT affirmait que dans les cinq ans, l'Oise aurait disparu. Qu'ensuite on s'attaquerait à l'Aisne et que l'objectif final de l'actionnaire était de se concentrer sur la Somme, pour en faire une édition supplémentaire de la Voix du Nord.
On s'est légèrement trompé sur le calendrier que le rachat de l'Aisne nouvelle est venu bouleverser, mais le cap est bien maintenu.
L'avenir du Courrier picard ne s'annonce pas radieux.

mardi 13 mai 2014

Un conflit exemplaire

«Nous avons le plaisir de vous annoncer la réintégration d'Olivier ! Cette victoire, c'est la nôtre. C'est la vôtre. Merci », pouvait-on lire le vendredi 9 mai 2014 dans l'après-midi, sur la page Facebook ouverte par les grévistes à l'occasion d'un conflit unique dans l'histoire du journal.
Jamais, on n'avait connu une telle mobilisation. Seul le groupe Rossel-Voix du Nord par "ses valeurs d'écoute et de respect qui sont celles de l'entreprise et du Groupe auquel elle appartient (sic)" comme l'a joliment écrit le samedi 10 dans les colonnes du journal, Gabriel d'Harcourt, directeur général du Courrier picard, pouvait ressusciter un état d'esprit qu'on pensait mort avec la coopérative.
En cinq jours (du 5 au 9 mai), les grévistes ont fait plus pour redorer l'image du journal que la direction en quatre ans. Les témoignages recueillis sur les réseaux sociaux en attestent. Il faut remonter à 1986 et au dépôt de bilan du journal, pour rencontrer un tel élan de solidarité de la part des lecteurs.
Tout a commencé le 2 mai, lendemain de la fête du Travail et surlendemain de la fête du personnel, organisée traditionnellement tous les 30 avril au Courrier picard.

"Faute grave" bidon

Notre confrère Olivier Hanquier, chef d'édition de Beauvais, apprend son licenciement par lettre recommandée, pour "faute grave", à compter du lundi 5 mai 2014.
Que lui reproche-t-on ? Un coup de gueule. Le 8 avril dernier lors d'une visite dans les locaux de son agence, de quatre stagiaires (dont deux des trois élus au CHSCT). Dans le cadre d'une formation CHSCT, ils  viennent, avec le formateur, effectuer un exercice pratique sur le terrain.
Olivier s'étonne de ne pas voir le nouveau secrétaire CFDT du CHSCT qui, ayant pris connaissance de ce déplacement, a demandé à la responsable des ressources humaines (par ailleurs stagiaire) d'y être associé. Demande restée sans réponse.
Il se voit ensuite reprocher l'état de l'agence alors qu'il a signalé à plusieurs reprises les problèmes (photos à l'appui). La direction ne s'est jamais manifestée. Là, à l'occasion de ce stage, toutes les récriminations pleuvent. Trop, c'est trop ! Notre confrère sort de ses gongs.
Il reconnaîtra le lendemain s'être emporté et s'en excusera. Pas suffisant pour une direction peu ouverte au dialogue, qui voit là une bonne occasion de supprimer un emploi à moindre frais.

Un DG aux abois

Les résultats du directeur général ne sont pas très bons et l'actionnaire lui met la pression. Les chiffres des ventes sont mauvais. S'il peut se débarrasser d'un gros salaire, voilà qui va améliorer ses comptes. D'autant que le confrère est un peu remuant. Toujours plein d'idées, il n'hésite pas à formuler des contre-propositions aux projets de la rédaction en chef. Chez Rossel-VdN où on aime voir qu'une seule tête, le débat  n'est pas bien venu.
Le pont du 1er mai n'a pas été choisi au hasard par la direction. Bon nombre de salariés sont absents, le secrétaire CFDT du comité d'entreprise (1) est en congés et le délégué du personnel CFDT part le jeudi suivant. La fenêtre de tir semblait idéale.
C'est sans compter sur la popularité d'Olivier Hanquier. Bon nombre de jeunes journalistes sont passés par lui. Il les a formés et a contribué à leur embauche. Tous lui en sont reconnaissants.
Par ailleurs, la direction n'a pas mesuré l'état d'exaspération du personnel. Depuis 2009, les plans sociaux se sont succédé, les conditions de travail se sont détériorées et les humiliations multipliées. Dernière en date : l'attribution d'une augmentation de 0,25% aux journalistes en octobre 2013 au lieu des 0,50% versés à l'ensemble du personnel, pour les punir d'avoir obtenu gain de cause devant  la Commission des droits d'auteur des journalistes.

Une mobilisation exceptionnelle

Dès le vendredi 2 mai 2014, CFDT, FO, SNJ et CGT convoquent une assemblée générale pour le lundi 5 dans le but d'obtenir un retrait de la sanction. La mobilisation dépasse  toutes les espérances. Plus de 70 personnes présentes ou représentées (sur 130 salariés). La grève est votée à une large majorité et une partie des votes contre se rallie aux grévistes. Sauf les représentants de la CGT qui se retirent du mouvement et repartent travailler.
La direction, elle, campe sur ses positions et pratique le chantage. Ce qui a pour effet de durcir le mouvement qui est reconduit le lendemain mardi pour le mercredi. Il faut dire que le DG a encore fait fort. Il  écrit dans un mail interne que "le temps des échanges avec la direction générale sur ce sujet (ndlr : la réintégration du confrère) est terminé, et celle-ci ne reviendra pas sur la sanction prononcée à l'égard du cadre concerné".
Rebelote le mercredi pour le jeudi et le jeudi pour le vendredi. Les non-grévistes (essentiellement les cadres de la rédaction en chef et des CDD qui n'ont guère le choix) ont de plus en plus de mal à boucler un journal qui n'en est pas un. Une édition unique faite de bric et de broc sort depuis le mardi. Jusqu'au vendredi 9 mai où il n'y a pas de journal dans les kiosques.

Pas perdre la face

Entre temps, les grévistes ont mené quelques actions spectaculaires dans les rues d'Amiens et ont reçu le soutien de politiques comme Caroline Cayeux, sénateur-maire UMP de Beauvais, ou Pascale Boistard, députée PS d'Amiens. Des sections syndicales de la Voix du Nord, y compris la CGT. Facebook et Twitter  font le reste.
Touchée au porte monnaie avec une non parution, la direction change de discours mais ne veut pas perdre la face : Olivier est réintégré mais reste sanctionné par une mise à pied et une mutation. Une double sanction contraire au droit du travail tout comme le licenciement qui s'était fait sans entretien préalable.
Auparavant le DG a tenté de casser l'unité syndicale en excluant d'une réunion de négociation tenue le vendredi matin dans un bistrot de Breteuil (Oise), la CFDT.  Il y avait invité des représentants de la CGT (non gréviste), de la CGC et du SNJ. Mais personne de notre syndicat, ni de FO, les deux organisations majoritaires lors des élections du personnel d'octobre 2013. Gabriel d'Harcourt aime choisir ses interlocuteurs.
La forte mobilisation des journalistes et des employés a permis de faire céder une direction qui quelques jours plus tôt affirmait qu'il n'y avait "aucune raison de revenir sur un licenciement pour faute grave", parlait d'humiliations, de comportement violent et injurieux, affirmait détenir un dossier consistant, établi uniquement à charge, sans le témoignage des journalistes présents le jour de l'incident.
Ce conflit a été exemplaire.
La CFDT ne dira jamais assez sa fierté de représenter et de défendre des salariés qui ont affronté une direction intransigeante et responsable d'une des plus  longues grèves de l'histoire du journal.

(1) Le secrétaire du CE a tenté dès le vendredi 2 mai de faire entendre raison au directeur général qui s'est montré très agressif au téléphone et lui a raccroché au nez. Il a aussi adressé un message à Bernard Marchand, patron de Rossel. Message resté sans réponse.